New York/La Haye
L’activation (disponible en anglais) très attendue du crime d’agression – également appelé « crime international suprême » dans la jurisprudence des procès de Nuremberg – par l’Assemblée des États parties à la Cour pénale internationale en décembre 2017, a été accueillie avec beaucoup d'enthousiasme. L’adoption à l’unanimité en juin 2010 des amendements de Kampala au Statut de Rome de la CPI a permis de définir ce crime, et leur activation a ainsi donné effet au principe du « plus jamais ça » pour les guerres d’agression, tout en renforçant la protection des victimes de conflits armés qui ne seraient pas couvertes par les normes relatives aux crimes de guerre, aux crimes contre l’humanité et au crime de génocide.
Néanmoins, le régime juridictionnel restrictif de la CPI sur le crime d’agression, qui - à l'exception d’un renvoi par le Conseil de sécurité des Nations Unies – exige une acceptation de la compétence sur le crime à la fois par l’État agresseur et par l’État victime, n’a cessé de susciter des inquiétudes depuis lors. Cette limitation – qui ne s’applique pas aux trois autres crimes du Statut de Rome – a suscité une attention encore plus grande à la suite de la guerre à grande échelle déclenchée par la Fédération de Russie le 24 février 2022 contre l’Ukraine, puisque cet acte d’agression a démontré les conséquences tragiques de cette compétence limitée dans la pratique.
La CPI est actuellement incapable de poursuivre le crime d’agression commis contre l’Ukraine, car la Fédération de Russie n’est pas partie à la CPI et n’a pas accepté la juridiction du crime d’agression. Étant donné que la Fédération de Russie est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et qu’elle dispose d’un droit de veto, le Conseil de sécurité des Nations Unies ne pourra pas renvoyer la situation d’agression contre l’Ukraine au Procureur de la CPI. En tant que telle, l’impunité découlant de la limitation de cette compétence empêche – et continuera à empêcher – la mise en œuvre du principe de responsabilité pour les auteurs du crime qui est à l’origine d’immenses souffrances et qui autorise la commission d’autres atrocités, elles-mêmes potentiellement assimilables à des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide.
Affirmer le principe de la responsabilité pénale individuelle pour le crime d’agression est essentiel. Les dirigeants impliqués à n’importe quelle étape de la commission de ce crime – planification, lancement, et exécution – doivent être poursuivis en temps opportun.
Il existe déjà des initiatives visant à poursuivre le crime d’agression commis en Ukraine et contre cette dernière, via l’activation des juridictions nationales ou par la création d’un Tribunal pénal spécial pour l’Ukraine. Mais dans une perspective de durabilité, PGA croit fermement que le principe de responsabilité doit être abordé par la CPI, à savoir la première cour pénale internationale permanente avec une compétence potentiellement universelle sur les crimes internationaux les plus graves. Le paragraphe 2 de l’article 27 du Statut de Rome – le traité fondateur de la CPI – définit le principe de « défaut de pertinence de la qualité officielle », et dispose que les immunités ou règles de procédures spéciales qui peuvent s’attacher à la qualité officielle d’une personne, n’empêchent pas la Cour d’exercer sa compétence à l’égard de cette personne.
Les événements actuels démontrent l’importance d’envoyer un message clair à tous les agresseurs potentiels que les violations manifestes de l’interdiction de l’usage de la force ne seront pas tolérées. La proposition de PGA vise donc à modifier l’article 15 bis du Statut de Rome sur le crime d’agression, afin d'aligner son régime juridictionnel sur celui des trois autres crimes fondamentaux du droit international.
Proposition pour amender l’article 15 bis du Statut de Rome relatif au crime d’agression
Depuis mars 2022, après avoir consulté un groupe d’éminents experts universitaires, PGA a élaboré un document officieux contenant des amendements spécifiques à l’article 15 bis du Statut de Rome qui alignerait partiellement le régime juridictionnel de la CPI relatif au crime d’agression sur celui qui existe déjà pour les trois autres crimes principaux.
Plus important encore, l’amendement supprimerait le paragraphe 15 bis (5), qui exclut la compétence de la CPI sur le crime d’agression à l’égard des États non parties. En tant que tel, il permettrait à la CPI de juger des individus qui sont des ressortissants d’un État non partie, comme la Fédération de Russie, si ces derniers commettent un crime d’agression sur le territoire d’un État partie ayant accepté la compétence de la CPI sur le crime d’agression. Cette proposition n’affecterait pas le statu quo actuel concernant les États parties n’ayant pas encore accepté la compétence de la CPI sur le crime d’agression.
Si les États parties au Statut de Rome ayant ratifié les amendements de Kampala adoptent également les amendements proposés à l’article 15 bis, ces derniers seront applicables à compter du 17 juillet 2018 et ne seront contraignants que pour ces États. Ces États auront en effet également le droit d’invoquer exceptionnellement l’article 58 de la Convention de Vienne sur le droit des traités pour garantir leur entrée en vigueur immédiate, afin de réaligner le régime juridictionnel de la CPI relatif au crime d’agression sur l’objet et le but du Statut lui-même, à savoir mettre fin à l’impunité pour l’ensemble des quatre crimes fondamentaux du droit international. Le document officieux de PGA a été partagé avec les États membres de l’UE et les autres États ayant déféré la situation en Ukraine au Procureur de la CPI, en vertu de l’article 13(a) du Statut de Rome.
Pour que la proposition soit examinée et, le cas échéant, adoptée par l’Assemblée des États parties qui se tient chaque année en décembre à La Haye ou à New York, la proposition d’amendements doit être présentée par un ou plusieurs États parties au Statut de Rome et diffusée par le Secrétaire général des Nations Unies, dépositaire du traité, le plus tôt possible, et au plus tard à la fin du mois d’août de l’année considérée.
L’impunité pour le crime d’agression a été efficacement combattue après la Seconde Guerre mondiale lorsque la communauté internationale a créé un tribunal militaire international à Nuremberg en 1945 pour juger les principaux responsables des puissances de l’Axe qui ont mené la guerre d’agression. Le temps est venu pour la communauté internationale de faire de même face à la guerre d’agression en Ukraine et contre celle-ci, d’autant que cette guerre est exécutée par un membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU qui a, jusqu’à présent, pu bénéficier d’une « zone d'impunité » pour ses dirigeants, comme cela a déjà été le cas par rapport aux atrocités de masse commises en Syrie.1
PGA croit fermement que la communauté internationale et l’Assemblée des États parties, composée des États membres de la CPI, doivent assurer un niveau approprié de soutien politique, de coopération et de financement pour la CPI, qui est compétente pour les enquêtes, les poursuites et le jugement des crimes les plus graves préoccupant la communauté internationale dans son ensemble. Lorsque les États parties s’acquittent de leurs responsabilités en tant que pouvoirs exécutif et législatif dans le cadre de la conception institutionnelle du système du Statut de Rome, les organes judiciaires et de poursuite de la CPI seront en mesure de maximiser leur impact et de servir efficacement de catalyseurs aux systèmes de justice nationaux pour contrer et réduire l’impunité.
En appliquant le mandat de la CPI en tant que juridiction complémentaire capable d’engager et de mener des procédures contre les personnes portant la plus grande responsabilité dans les quatre crimes internationaux,2 les États peuvent s’efforcer de parvenir à un monde meilleur, plus juste et plus pacifique.
Dr David Donat Cattin
Secrétaire général sortant, Action Mondiale des Parlementaires (2014-22)
LE CRIME D'AGRESSION : UNE ATROCITÉ ET DE NOMBREUSES VICTIMES
Le crime d’agression est un crime d’atrocité qui non seulement viole l’intégrité territoriale et l’indépendance politique d’un État souverain, mais entraîne aussi de nombreuses victimes parmi les populations, les communautés et les combattants, dont la mort, les blessures et les traumatismes sont causés par la décision criminelle de dirigeants étatiques d’envoyer des combattants de l’État agresseur à la guerre, et contraint les combattants de l’État victime à utiliser les armes dans l’exercice du droit inhérent à la légitime défense.
Les victimes du crime d’agression comprennent donc tous les combattants qui sont des victimes de guerre ou qui subissent des dommages et des blessures du fait de leur participation à un conflit armé international (CAI), lui-même causé par un crime d’agression. Cela inclut ainsi les combattants suivant les ordres de l’État agresseur et les combattants exerçant le droit collectif et individuel de légitime défense de l’État victime.
Les membres des populations et des communautés civiles vivant sur les territoires de l’État victime sont des victimes individuelles du crime d’agression, et peuvent également être victimes de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide.
Dr David Donat Cattin, Secrétaire général sortant, Action Mondiale des Parlementaires (2014-22)
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Notes de bas de page
1 La Fédération de Russie a utilisé son veto au moins 15 fois pour bloquer toute décision significative au sein du Conseil de sécurité de l’ONU visant à rétablir la paix et la sécurité internationale en Syrie. En mai 2014, la Fédération de Russie et la République populaire de Chine ont apposé leur veto à une résolution spécifique renvoyant la situation syrienne à la juridiction de la CPI que 13 États, dont les États-Unis, avaient soutenue. En juin 2014, ISIS/ISIL/IS a envahi l’Irak et occupé la ville de Mossoul sans trouver aucune résistance ou opposition de la part de l’armée syrienne et de ses alliés militaires, la Fédération de Russie et la République islamique d’Iran. Depuis, aucun tribunal international n’a de compétence territoriale sur la Syrie, le chef d’ISIS a été exécuté et les dirigeants de la Syrie, de la Fédération de Russie et de l’Iran ont continué à opérer dans une « zone d’impunité ».
L’échec de la lutte contre l’impunité crée un précédent qui peut inciter à la perpétration d’atrocités dans d’autres situations et à la répétition d’autres crimes odieux dans la même situation. Par conséquent, la lutte contre l’impunité est un impératif absolu pour la dissuasion dans toutes les situations (prévention générale) et pour la prévention dans un cas spécifique afin de mettre un terme à la répétition des crimes internationaux, ce qui contribue au maintien et au rétablissement de la paix et de la sécurité internationale.
2 Lorsque le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé les deux tribunaux ad hoc pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, en 1993 et 1994 respectivement, il a pris note du fait que les atrocités en question se déroulaient dans le cadre de conflits internes et de la désintégration ou de l’effondrement d’États centralisés, ce qui ne nécessitait pas l’activation de la juridiction sur les crimes contre la paix/le crime d’agression. Ainsi, les statuts des deux tribunaux ad hoc se sont limités à trois crimes fondamentaux du droit international, à savoir le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. Cependant, tous les documents préparatoires relatifs à l’établissement d'une Cour pénale internationale permanente depuis les années 1950 ont toujours reflété la liste des quatre crimes principaux du droit international, y compris le crime d’agression, qui reproduit la notion de crimes contre la paix contenue dans l’Accord de Londres pour le Tribunal de Nuremberg et que l’Assemblée générale des Nations Unies a affirmé comme reflétant les principes et les normes du droit international coutumier en 1946.