
Le 11 mars 2025, les autorités philippines ont arrêté l’ancien président Rodrigo Duterte à Manille et l’ont transféré à la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye. Cette évolution fait suite au mandat d’arrêt émis par la Chambre préliminaire I de la CPI et transmis via l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol).
L’ancien président Rodrigo Duterte est accusé en tant que co-auteur indirect présumé de crimes contre l’humanité, notamment de meurtres, tortures et viols, commis aux Philippines entre novembre 2011 et mars 2019. Durant cette période, M. Duterte a occupé les fonctions de maire de la ville de Davao (2013-2016) et de président de la République des Philippines (2016-2022). Peu après son élection en 2016, il a lancé une « guerre contre la drogue », une campagne controversée qui aurait constitué une « attaque généralisée et systématique contre la population civile » et entraîné la mort de 12 000 à 30 000 civils (disponible en anglais), selon la CPI.
L'ancienne sénatrice Leila de Lima (Philippines)
C'est une affaire très personnelle pour moi. Pendant près de sept ans, j'ai été emprisonnée sur la base de fausses accusations, accusée de crimes que je n'avais pas commis, tout cela parce que j'avais osé dénoncer la guerre contre la drogue de Duterte. Pendant que j'étais derrière les barreaux, des milliers de Philippins ont été tués sans que justice ne soit rendue, leurs familles ont dû faire leur deuil sans réponses, sans que personne ne soit tenu responsable.
Aujourd'hui, Duterte est amené à répondre, non pas à moi, mais aux victimes, à leurs familles, à un monde qui refuse d'oublier. Il ne s'agit pas de vengeance. Il s'agit de justice qui suit enfin son cours.
- L'ancienne sénatrice Leila de Lima (Philippines), membre de PGA.Crédit : Rappler
C’est la première fois qu’un.e dirigeant.e d’Asie du Sud-Est est arrêté.e et inculpé.e, offrant un espoir aux communautés de victimes (disponible en anglais), aux Philippines et au-delà. Cette arrestation réaffirme également le rôle de la CPI dans la quête de justice pour les crimes les plus graves et préoccupant la communauté internationale – la Cour étant souvent le seul recours pour les survivant.e.s afin d’obtenir justice et réparation.
Défis dans la quête de la mise en œuvre du principe de responsabilité
L’ampleur des exécutions extrajudiciaires et autres crimes contre l’humanité présumés commis aux Philippines sous la présidence de Duterte a conduit le Bureau de la Procureure de la CPI à ouvrir un examen préliminaire en 2018. En réponse, le président Duterte a retiré les Philippines du Statut de Rome – une décision qui est entrée en vigueur le 16 mars 2019 (disponible en anglais).
À l’époque, les membres de PGA ont exprimé de profonds regrets et une vive opposition, avertissant que cette décision « privait la population des Philippines d’une garantie de justice, de légalité et de respect des droits humains comme base pour la paix et la sécurité » et dénonçant « le refus du président des Philippines d’aborder les graves violations commises par les escadrons de la mort soutenus par le gouvernement », selon les propos des anciens membres du PGA, la Sénatrice Leila de Lima et le Sénateur Antonio Trillanes IV.
Malgré le retrait des Philippines du Statut de Rome, la CPI a conservé sa compétence sur les crimes commis alors que le pays était encore un État Partie. Ainsi, la Cour a pu continuer d’enquêter sur les crimes survenus jusqu’au 16 mars 2019.
Par la suite, le gouvernement philippin a demandé un report de l’enquête – une procédure prévue par le principe de complémentarité, selon lequel la CPI n’exerce sa compétence que lorsqu’un « État [n’a] pas la volonté ou [est] dans l’incapacité de mener véritablement à bien l’enquête ou les poursuites » (article 17 du Statut de Rome). En conséquence, les enquêtes du Bureau du Procureur de la CPI ont été temporairement suspendues. Toutefois, la CPI a estimé (disponible en anglais) que les enquêtes menées par les autorités philippines (qui n’ont abouti qu’à huit condamnations de policiers de rang inférieur pour cinq exécutions extrajudiciaires) n’étaient pas suffisamment pertinentes ni ne prouvaient que les Philippines eussent fait un réel effort pour mener des enquêtes et des poursuites pénales. Par conséquent, le Bureau du Procureur a obtenu l’autorisation (disponible en anglais) de reprendre son enquête en 2023.
Engagement des membres de PGA
Depuis 2005, PGA collabore avec ses membres aux Philippines, dont les efforts et l’engagement ont contribué à la ratification du Statut de Rome par le pays le 30 août 2011. Cette avancée majeure a été réalisée une semaine seulement après l’adoption écrasante du projet de loi de ratification de la CPI par le Sénat des Philippines. Les membres de PGA, la sénatrice Loren Legarda et la défunte sénatrice Miriam Defensor Santiago, ont joué un rôle fondamental dans cette réussite. La Sénatrice Legarda a également facilité un briefing crucial par l’ancien Président de la CPI au Sénat des Philippines en mars 2011, renforçant ainsi le soutien à la ratification.
Suite à la notification du retrait du Statut de Rome, PGA a fourni une assistance juridique à six sénateurs d’opposition, dont les membres de PGA, la sénatrice Leila De Lima et le sénateur Antonio « Sonny » F. Trillanes IV, pour la rédaction d’une requête déposée le 16 mai 2018 devant la Cour suprême des Philippines. Cette requête visait à déclarer le retrait « invalide ou inefficace » et à contraindre l’exécutif à annuler, révoquer ou retirer la notification de retrait, qui avait été déposée le 17 mars 2018 auprès du Secrétaire général des Nations Unies.
Malgré le retrait des Philippines du Statut de Rome en 2019 (en anglais), les membres de PGA dans le pays sont restés déterminés à défendre les valeurs universelles et les droits humains. Cet engagement a eu des répercussions significatives pour l’ancienne sénatrice Leila de Lima, emprisonnée arbitrairement en février 2017 pour avoir dénoncé les violations des droits humains, notamment en dirigeant une enquête sénatoriale sur les exécutions extrajudiciaires(disponible en anglais) liées à la « guerre contre la drogue ». PGA a appelé à plusieurs reprises à sa libération immédiate et inconditionnelle (disponible en anglais). Après plus de sept ans de détention arbitraire, durant lesquels elle a continué à exercer son mandat parlementaire, elle a été acquittée en juin 2024. Indéfectible, elle demeure aujourd’hui une fervente défenseure de la lutte contre l’impunité et de la justice internationale.
Recommandations pour les membres de PGA
- Les parlementaires doivent tirer parti de cet élan pour relancer la politique de coopération des Philippines avec la CPI ;
- Les parlementaires doivent relancer le débat sur le retour des Philippines à la CPI par une nouvelle ratification du Statut de Rome, réaffirmant ainsi l’engagement du pays en faveur de la justice et de la mise en œuvre du principe de responsabilité ;
- Les parlementaires doivent soutenir les efforts visant à enquêter et poursuivre les auteurs d’atrocités, notamment les exécutions extrajudiciaires survenues après 2019, et garantir la mise en œuvre du principe de responsabilité pour les attaques contre les défenseur.e.s des droits humains et les organisations de la société civile.