
Le 6 mars 2025, PGA a co-sponsorisé un événement sur l’urgence de défendre la justice internationale dans un environnement mondial de plus en plus hostile. Organisée par l’ONG No Peace Without Justice (NPWJ – site disponible en anglais), la discussion s’est tenue dans le cadre du Congrès EUmans (en anglais) – un mouvement paneuropéen qui se concentre sur la promotion des droits fondamentaux, la durabilité et l’innovation démocratique à travers la participation civique et les initiatives transnationales – et a été accueillie par le Parlement européen, à Bruxelles, en Belgique.
L’objectif de cet événement était de demander aux institutions de l’UE et aux membres du Parlement européen de protéger l’indépendance et l’intégrité de la Cour pénale internationale (CPI), qui fait actuellement l’objet d’attaques et de menaces sans précédent. Comme détaillé par le Secrétaire général de NPWJ, M. Niccolò Figà-Talamanca, ces défis à la justice internationale exigent des États parties à la CPI, et plus particulièrement des États membres de l’UE, qu’ils prennent des mesures concrètes pour soutenir la Cour, conformément à leurs obligations internationales en matière de lutte contre l’impunité pour les crimes les plus graves qui préoccupent la communauté internationale, à savoir le crime de génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime d’agression.
La CPI menacée : les enjeux pour la justice internationale
Dans son discours d’ouverture, le Greffier de la CPI, M. Osvaldo Zavala Giler, a souligné à quel point la CPI, en poursuivant les responsables d’atrocités, garantissait la mise en œuvre du principe de responsabilité, renforçant ainsi l’État de droit international et favorisant une paix durable. Ce faisant, la CPI participe à la défense des valeurs universelles sur lesquelles l’UE est fondée, conformément à l’article 2 du Traité sur l’UE. En veillant à ce que la justice soit accessible à tous, y compris aux communautés les plus vulnérables et en offrant des réparations aux victimes, la CPI contribue à l’avènement d’un monde où les auteur.ice.s de crimes sont tenu.e.s pour responsables, car « la paix n’est pas l’absence de conflit, mais la présence de la justice ».
La CPI est actuellement active dans 12 situations, dans toutes les régions du monde. Pourtant, la Cour fait face à des défis risquant de compromettre ses activités. La CPI fait en effet l’objet de mandats d’arrêt de la Fédération de Russie pour ses enquêtes en Ukraine, elle a été ciblée par des cyberattaques et des actes d’intimidation, et plus récemment, un décret exécutif des États-Unis imposant des sanctions à la CPI (disponible en anglais) a encore aggravé la situation en menaçant sa viabilité et son indépendance.
Si l’UE a traditionnellement été un allié important de la Cour, le Greffier de la CPI a insisté sur le fait que son leadership est aujourd’hui plus crucial que jamais, d’autant que le siège de la CPI se trouve aux Pays-Bas, un État membre de l’UE. En tant qu’institution judiciaire internationale indépendante, la Cour relève entièrement du soutien diplomatique et financier des États parties. Le Greffier de la CPI a donc souligné que ce soutien politique devait se traduire par des actions concrètes, notamment par l’exécution des mandats d’arrêt et une coopération accrue. Soutenir la CPI n’est pas un choix, mais un devoir envers les générations futures : défendre la CPI, c’est défendre les principes d’un monde où personne n’est au-dessus de la justice.
À cet égard, il a exhorté la Commission européenne et les États membres de l’UE à activer la loi de blocage (règlement (CE) no 2271/96 du Conseil), un instrument visant à protéger les opérateurs de l’UE, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, de l’application extraterritoriales des sanctions de pays tiers, et qui permettrait donc à la Cour de préserver son fonctionnement efficacement.
La loi de blocage de l’UE a déjà été utilisée en réponse aux sanctions américaines pour protéger les opérateurs de l’UE engagés dans des échanges commerciaux internationaux et/ou des mouvements de capitaux. Elle a été adoptée en 1996 en réponse aux sanctions américaines contre Cuba, l’Iran et la Libye, mais son activation la plus marquante a eu lieu en 2018, lorsque les États-Unis se sont retirés de l’Accord sur le nucléaire iranien et ont réimposé des sanctions contre l’Iran.
Les eurodéputé.e.s rappellent leur engagement
Les précieuses contributions des membres du Parlement européen ont fait écho à ces préoccupations, soulignant la responsabilité de l’UE dans la défense de la justice internationale. Mme Hanna Gedin, membre du Parlement européen (Suède), a particulièrement mis en garde contre le contexte géopolitique actuel, qui met en péril l’ordre international fondé sur des règles, lui-même construit sur le principe du « plus jamais ça ». Elle a réaffirmé l’engagement des eurodéputé.e.s à soutenir la mise en œuvre de la loi de blocage et a indiqué sa volonté d’explorer des mesures supplémentaires pour soutenir le droit international.
M. Juan Fernando López Aguilar, membre du Parlement européen (Espagne) et membre de PGA, a évoqué les leçons de l’histoire, soulignant que la CPI a été créée pour empêcher l’impunité pour les atrocités les plus graves. Il a qualifié la situation actuelle de « signal d’alarme » pour l’UE, qui doit non seulement se positionner, mais aussi démontrer, par des actions concrètes, son engagement en faveur de la lutte contre l’impunité – une obligation internationale pour les États membres de l’UE, également inscrite dans le droit de l’UE. Il s’est joint à l’appel demandant à l’UE d’activer et d’appliquer sa loi de blocage, soulignant le fait qu’une telle mesure s’inscrivait également dans l’engagement du Parlement européen à promouvoir et défendre le droit international.
L’appel des organisations de la société civile pour des actions décisives
Les organisations de la société civile ont renforcé les appels à l’urgence de la situation. Mme Alice Autin, chargée de la communication et du programme justice internationale à Human Rights Watch, a décrit l’impact des sanctions états-uniennes sur la justice internationale dans son ensemble, et en particulier sur les citoyens et les victimes dans le monde entier. Critiquant l’absence de réaction de l’UE depuis l’adoption du décret états-unien – qui contredit sa promesse de préserver la Cour – elle a demandé qu’un soutien politique clair soit associé à des actions concrètes, telles que l’activation de la loi de blocage, qu’elle a décrite comme un instrument précisément conçu pour un tel moment de crise. Elle a également rappelé à l’UE son obligation de coopérer avec la Cour, de faire preuve d’unité et de respecter le droit international et les obligations internationales, y compris l’exécution des mandats d’arrêt, qui devrait être la priorité des États membres de l’UE. Elle a fait valoir qu’il ne s’agit pas seulement de défis pour la CPI, mais de menaces pour les valeurs universelles défendues par l’UE, ce qui devrait donc inciter l’UE à prendre l’initiative de démontrer qu’une « alternative à la loi du plus fort existe ».
Mme Frederika Schweighoferova, Directrice du programme Droit international et droits humains de PGA, a souligné le rôle indispensable des parlementaires dans la défense de la CPI et a exprimé sa gratitude pour ceux et celles qui se sont levé.e.s et ont manifesté leur soutien au cours des mois précédents, notamment en signant la Déclaration parlementaire mondiale de PGA en soutien à la CPI. Elle a mis en garde contre les effets dissuasifs des sanctions sur la poursuite de la justice, notamment le risque de se sur-conformer aux sanctions, et qui pourrait décourager les États et les organisations de la société civile de coopérer avec la Cour, entraînant des conséquences négatives pour la justice internationale et des milliers de victimes et de survivant.e.s.
Que peuvent faire les parlementaires ?
Mme Frederika Schweighoferova a conclu ses remarques en partageant plusieurs recommandations pour les eurodéputé.e.s et les parlementaires du monde entier :
- Continuer à dénoncer publiquement les menaces et les attaques contre la justice internationale, en saisissant toutes les occasions pour sensibiliser l’opinion et plaider en faveur d’un soutien inconditionnel à la CPI, notamment en soumettant ces questions aux parlements nationaux.
- Continuer à appeler pour la mise en œuvre de la loi de blocage, y compris par l’UE, pour protéger les opérations de la CPI et de celles et ceux qui coopèrent avec elle, et plaider pour le développement d’instruments similaires/complémentaires pour protéger de manière adéquate la Cour et d’autres institutions judiciaires internationales.
- Continuer à exiger des États membres qu’ils respectent leurs obligations internationales de coopérer avec la Cour, conformément aux obligations qui leur incombent en vertu du Statut de Rome. Ces obligations sont également inscrites dans le droit de l’UE, et notamment dans le traité de l’UE (articles 21 et 24), et l’engagement de l’UE est souligné dans les récentes conclusions du Conseil (en anglais) ainsi que dans la décision du Conseil de 2011 sur la CPI, et dans l’accord entre l’UE et la CPI.
- Encourager les gouvernements à signer des accords de coopération avec la CPI et soutenir des mécanismes au sein des législatures nationales.
- Veiller à ce que les négociations budgétaires prévoient un soutien financier suffisant pour les organisations de la société civile et les organisations de justice internationale, y compris la CPI et le Fonds au profit des victimes.