Un événement
3ème Table ronde sur l’Afghanistan : Soutenir les ressortissants afghans sur le terrain et en exil
Une discussion avec les parlementaires afghans et leurs homologues
DATE: 30 mai 2022
Actions pour soutenir les ressortissants afghans sur le terrain et en exil
Face à la détérioration de la situation humanitaire et des droits humains en Afghanistan, en particulier la situation des droits des femmes et des filles, le rétrécissement continu de l’espace de la société civile, la destruction des principes et valeurs démocratiques, et l’augmentation de la violence et de la discrimination à l’égard des minorités religieuses et ethniques ;
Considérant les violations continues du droit des Afghans à demander l’asile, notamment en vue des obstacles se dressant sur leur chemin pour fuir les persécutions, le niveau de corruption dans ce processus, et la perception de doubles standards dans le traitement des cas de réfugiés par les États ;
Alors que la communauté internationale s’est engagée à soutenir l’Afghanistan mais que, jusqu’à présent, elle n’a pas réussi à fournir une aide humanitaire adéquate et efficace aux ressortissants afghans sur le terrain et en exil, en dépit du fait que leurs vies soient toujours en danger ;
Il devient plus urgent que jamais que les membres des parlements, les gouvernements, les organisations internationales et les autres parties prenantes, prennent des mesures concrètes pour s’engager de manière significative et élaborer des réponses tangibles pour soutenir les Afghans sur le terrain et en exil.
Les actions suivantes, développées à la suite du riche échange qui a eu lieu lors de la troisième Table ronde de PGA sur l’Afghanistan le 30 mai 2022, devraient être prises en considération par la communauté internationale :
Depuis la prise du pouvoir du pays par les Talibans le 15 août 2021, la situation humanitaire et des droits humains s’est considérablement détériorée en Afghanistan : le pays a sombré dans une crise économique sans précédent et dans l’insécurité alimentaire, et une vague de violence a frappé la population civile ; plus de la moitié de la population afghane a besoin d’une aide humanitaire pour survivre ; l’espace civique s’est rétréci ; les droits des femmes et des filles sont de plus en plus restreints ; environ 3,5 millions de personnes sont déplacées à l’intérieur du pays ; et environ 2,6 millions d’Afghans sont réfugiés, alors que beaucoup d’entre eux sont toujours confrontés à de multiples défis et menaces.
La communauté internationale n’apportant pas de solutions appropriées qui soient à la hauteur de ses engagements internationaux, soutenir la société afghane devient plus urgent que jamais. Les parlementaires du monde entier doivent s’engager de manière significative auprès de leurs homologues afghans et des communautés en exil, afin de s’assurer que les réponses données par leurs pays respectifs suivent une approche basée sur les droits humains, notamment en garantissant la protection des droits des Afghans à demander l’asile.
Dans ce contexte, PGA a organisé une troisième table ronde sur l’Afghanistan le 30 mai 2022 afin de faciliter une discussion active entre des parlementaires du monde entier, des représentants de la société civile et des experts. Modéré par le Secrétaire général de PGA, le Dr David Donat Cattin, l’événement a permis aux intervenants de réfléchir à de nouvelles actions concrètes pour mieux aider les Afghans et répondre aux graves préoccupations concernant la situation humanitaire et des droits humains à l’intérieur et à l’extérieur du pays. La conversation a permis d’élaborer une série de mesures concrètes, se basant sur les diverses préoccupations soulevées par les participants afin d’assurer un suivi efficace de la part des membres de PGA, des parties prenantes concernées et de la communauté internationale dans son ensemble.
De telles mesures sont cruciales pour empêcher l’impunité de prospérer en Afghanistan et dans le monde entier. Comme l’a déclaré la Présidente de PGA, l’Honorable Kasthuri Patto (députée, Malaisie), la montée du radicalisme et de l’extrémisme est un phénomène qui peut toucher n’importe quel pays, et notamment au détriment des droits des femmes. Considérant que beaucoup reste à faire pour protéger les valeurs universelles, la démocratie, la justice, la liberté et les droits humains, elle a appelé chaque député à donner un espace aux acteurs afghans dans leurs parlements respectifs afin que tout gouvernement et acteur de la société civile puisse écouter attentivement les voix afghanes et les soutenir.
Le premier panel s’étant concentré sur la situation humanitaire en Afghanistan, l’Honorable Mariam Solaimankhail (députée, Afghanistan) a exprimé ses vives préoccupations et sa désillusion face à l’absence de mécanismes de surveillance efficaces pour signaler les violations des droits humains, et au manque d’instruments permettant à l’aide humanitaire d’atteindre tous les Afghans, y compris ceux vivant dans des zones isolées. Elle a appelé la communauté internationale à défendre l’Afghanistan, notamment en ne reconnaissant pas le gouvernement des Talibans comme légitime et en veillant à ce que personne ne soit laissé pour compte.
Pour éviter que l’aide humanitaire ne finisse entre les mains de l’administration des Talibans ou d’autres organisations corrompues, l’Honorable Nazifa Yousufi Bek (députée, Afghanistan, et fondatrice du Parlement des femmes afghanes en exil) recommande à la communauté internationale d’acheminer l’aide humanitaire par le biais des conseils de village, une institution existante qui peut distribuer efficacement et équitablement l’aide à travers le pays, y compris aux différents groupes ethniques, et qui peut directement adapter l’assistance en fonction des besoins spécifiques des personnes. Elle a également attiré l’attention sur la situation des défenseurs afghans des droits humains, qui ont cruellement besoin du soutien international et d’aide pour poursuivre leurs activités dans un endroit où leur vie ne sera pas menacée.
Dans une déclaration détaillée (disponible en anglais) sur la situation humanitaire et des droits humains en Afghanistan, le Représentant spécial de l’UE (RSUE) pour les droits humains, M. Eamon Gilmore, a assuré que non seulement l’Afghanistan reste une priorité pour l’UE, mais surtout que “l’UE n’a pas abandonné et n’abandonnera pas le peuple afghan”. Parmi d’autres engagements essentiels de l’UE, notamment grâce à l’action de l’Envoyé spécial de l’UE pour l’Afghanistan, M. Tomas Niklasson, et de l’Ambassadrice de l’UE pour le genre et la diversité, Mme Stella Ronner-Grubačić, le RSUE Gilmore a souligné l’importance du financement substantiel de l’UE alloué à l’Afghanistan en 2022, qui permettra de fournir une aide d’urgence essentielle aux plus vulnérables (y compris aux victimes de la guerre), mais permettra aussi de répondre aux défis posés par les déplacements forcés et les risques naturels. Affirmant la non-reconnaissance des Talibans par l’UE, il a souligné la nécessité de s’assurer que le régime de facto des Talibans sera tenu pour responsable de ses actes, et que les responsables d’atrocités seront tenus responsables devant un système judiciaire respectant les principes de l’État de droit et les normes internationales.
Pour Mme Heather Barr, directrice associée de la division des droits des femmes à Human Rights Watch, la situation en Afghanistan est également la crise des droits des femmes la plus grave dans le monde actuellement, et la crise des droits des femmes la plus grave depuis 1996. Reconnaissant l’importance des déclarations faites par différents pays et organisations régionales ayant dénoncé unanimement une telle situation, elle souligne l’importance de transformer ces paroles en véritables actions coordonnées et concertées : les États engagés dans la mise en œuvre d’une politique étrangère féministe devraient assurer un leadership plus décisif en la matière. Tout en insistant sur la nécessité d’éviter de s’engager avec les Talibans d’une manière qui les légitimerait, elle a identifié plusieurs priorités pour la communauté internationale : (i) soutenir la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA) dans la mise en œuvre complète de son mandat et le suivi de la situation sur le terrain, y compris sur les questions relatives aux femmes et aux jeunes filles ; (ii) s’exprimer lorsque des rapports signalent des attaques commises contre les femmes et les manifestants ; (iii) débloquer l’économie afghane, en laissant la Banque centrale fonctionner et en trouvant un moyen de contrôle approprié ; (iv) pousser la CPI à avancer dans son enquête sur l’Afghanistan, qui devrait inclure un accent spécifique sur la persécution des femmes ; et (v) s’assurer que le droit des Afghans à demander l’asile est respecté.
Le Secrétaire général de PGA s’est félicité de ces remarques et a rappelé le soutien de longue date (depuis 2008) que PGA apporte aux députés afghans pour qu’ils s’engagent auprès de la CPI, notamment en soulignant l’esclavage généralisé des enfants par les Talibans et d’autres groupes armés : l’esclavage est un crime contre l’humanité relevant de la compétence de la Cour.
Le deuxième panel a permis aux intervenants d’attirer l’attention sur la situation difficile des réfugiés afghans dans le monde, et de proposer des solutions concrètes portées par des voix afghanes pour pallier le manque d’engagement politique des États du monde entier. Parmi eux, Mme Sara Elizabeth Dill, partenaire chez Anthem Global, a particulièrement insisté sur la nécessité de consacrer des ressources gouvernementales aux demandes de traitement accéléré, ainsi que de soutenir les ONG qui fournissent une assistance juridique dans le cadre de cette procédure. Elle a également appelé les gouvernements à poursuivre les évacuations pour les personnes cherchant à fuir le pays, à fournir et à garantir une réinstallation sûre, en particulier pour les femmes et les filles qui courent un risque important d’abus et de harcèlement, et à ce que les États coopèrent entre eux pour permettre les regroupements familiaux. Enfin, elle a également souligné la nécessité de poursuivre les enquêtes sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, y compris sur les cas de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays, et de développer des moyens pour renforcer le principe de la responsabilité et la réconciliation par le biais de la CPI, du principe de compétence universelle ou de tout autre mécanisme de responsabilisation.
En se concentrant spécifiquement sur la situation des réfugiés afghans au Pakistan - un pays utilisé comme un lieu temporaire pour les Afghans afin que leurs dossiers puissent être transférés à d’autres pays - Mme Rukhsar Azamme, membre de l’équipe LEAD IMPACT et activiste des droits humains, a partagé les difficultés rencontrées par les familles afghanes pour obtenir un certificat d’asile de l’UNHCR - un document nécessaire permettant aux réfugiés de ne pas être déportés, d’avoir accès à l’éducation et au travail, de voir leurs dossiers traités et de demander la réinstallation au Pakistan ou dans tout autre pays. Alors que cette population a fui les persécutions, une telle situation continue de mettre leur vie en danger et conduit à la corruption. Elle a donc appelé les députés à demander à leur gouvernement de faire pression sur les Nations Unies et d’encourager l’UNHCR à traiter les certificats d’asile en temps voulu afin que les Afghans aient au moins la possibilité de demander la réinstallation.
En fondant Afghans in Crisis Network - une coalition d’activistes et d’anciens étudiants du Global Campus for Human Rights - Mme Charlemagne Gomez, défenseure des droits humains, assiste et aide les Afghans à fuir l’Afghanistan et à se réinstaller. Elle a cependant souligné les nombreuses difficultés rencontrées par ces personnes dans leur processus de demande d’asile, notamment pour obtenir des entretiens avec les ambassades et faire évaluer leurs dossiers - alors que tous les individus avec lesquels elle est en contact sont en grand danger. Elle a particulièrement souligné les problèmes financiers que rencontrent les réfugiés afghans, notamment en raison des coûts élevés des visas et des procédures relatives - une situation exacerbée par la lenteur des procédures. Par ailleurs, compte tenu de l’expertise des réfugiés afghans, qui ont favorisé la construction d’une société plus démocratique en Afghanistan avant la prise du pouvoir par les Talibans, ces derniers pourraient contribuer de manière significative aux communautés d’autres pays. Toutefois, si nous ne sommes pas en mesure de mettre ces personnes en sécurité, elle a souligné la nécessité de préserver leur héritage pour permettre aux Afghans de reconstruire leur pays le moment venu. Dans ce contexte, elle estime que le développement de réseaux, notamment de réseaux de parlementaires afghans en exil, est de la plus haute importance : ils permettent la pérennité de l’expertise afghane.
Pour conclure la table ronde, des législateurs de plusieurs régions ont réfléchi aux mesures concrètes que les parlementaires du monde entier peuvent prendre dans leurs pays et à d’autres échelles. À cet égard, l’Honorable Raymonde Lawson (députée du Togo) a souligné l’importance de défendre le droit des femmes et la nécessité d’inclure les femmes dans les processus de décision en leur donnant du pouvoir. Elle a insisté sur la nécessité de rester en contact avec les députés afghans démocratiquement élus, de les soutenir au quotidien et de les inviter à partager leurs histoires dans d’autres parlements du monde. Elle a également appelé à de nouvelles réflexions pour mettre en œuvre des mécanismes de sanctions qui feront pression sur les Talibans et les autres acteurs locaux et internationaux collaborant avec les Talibans, sans imposer davantage de souffrances au peuple afghan.
Soulignant la multitude de crises se déroulant actuellement dans le monde entier, l’Honorable Ali Ehsassi (député, Canada) a noté la nécessité de maintenir la situation en Afghanistan en tête de l’agenda international. Malgré les efforts et les engagements du Canada, beaucoup reste à faire pour aider l’Afghanistan et les réfugiés afghans, mais il a assuré que le pays reste engagé et continuera à fournir une aide financière et humanitaire.
En tant que Président de la délégation du Parlement européen pour les relations avec l’Afghanistan, M. Petras Auštrevičius (député européen, Lituanie) a fait part de trois éléments majeurs sur lesquels il faut rester concentré : (i) maintenir l’attention de la communauté internationale sur la situation en Afghanistan, y compris sur les droits des femmes et la lutte contre l’impunité, et envoyer des messages forts - comme le démontre la récente résolution du Parlement européen sur la situation en Afghanistan, en particulier sur la situation des droits des femmes ; (ii) assurer un partenariat avec les acteurs en exil, y compris les membres démocratiquement élus du Parlement afghan ; et (iii) renforcer le soutien pratique aux étudiants afghans, afin qu’ils puissent poursuivre leur éducation, ainsi qu’à la société afghane dans son ensemble, par le biais de l’aide humanitaire, notamment celle assurée par les agences des Nations Unies travaillant sur le terrain.
Enfin, l’Honorable Rozaina Adam (députée, Maldives) et Présidente de l’Équipe parlementaire de réponse rapide de PGA (EPRR) a souligné le rôle clé des parlementaires dans la défense des droits humains, l’élaboration de solutions adaptées pour protéger l’État de droit, et la garantie du principe de responsabilité. Entre autres actions, elle a suggéré que les parlementaires du monde entier s’engagent aux niveaux national, régional et international pour prévenir et arrêter les atrocités de masse, assurer le principe de responsabilité face à la commission de crimes odieux et l’accès à la réparation pour les survivants, et fournir assistance et refuge à ceux qui fuient le régime des Talibans. L’un des moyens d’y parvenir est de travailler rapidement et efficacement à l’adoption d’une législation nationale qui intègre les définitions des crimes internationaux. En outre, elle a souligné la nécessité d’étendre la participation civique et de développer des stratégies conjointes et participatives telles que le dialogue interculturel, afin de renforcer la capacité des communautés à être proactives dans la prévention des atrocités de masse.
En conclusion de la table ronde, le Dr David Donat Cattin a fait part de l’engagement de PGA à poursuivre la sensibilisation à la situation en Afghanistan, grâce au partage dans des espaces ouverts aux Afghans, pour que ces derniers fassent entendre leurs voix et plaident, avec les membres de PGA, en faveur de la mise en œuvre d’actions concrètes.